Fact check SEASPIRACY: du vrai, du faux… et du plastique

Des dizaines de milliers de posts et des milliards d’impressions sur les réseaux sociaux : le documentaire Seaspiracy, qui dénonce les ravages de la surpêche sur les écosystèmes, disponible sur Netflix depuis le 24 mars dernier, suscite beaucoup d’émotion et dispose d’une audience considérable via la plateforme de streaming numéro 1.

Nous souhaitons intervenir à ce stade, non pour créer ou alimenter une polémique autour de ce documentaire, mais simplement pour éclaircir quelques éléments précis qui croisent nos spécialités et compétences. Le thème de la pollution par le plastique, notamment, que nous suivons de près pour aider à la combattre efficacement, s’invite dans le débat en des termes que nous souhaitons commenter.

Alors discutons dans ce fact-checking quelques points abordés dans le documentaire en ciblant notre propos sur ceux qui sont factuels et peuvent donc être vérifiés.

Un sourcing pour le moins contestable

Ali Tabrizi, le réalisateur, mise sur un alarmisme soutenu en présentant un assemblage de scènes provenant de sources et d’époques très différentes. Ceci, justement, pose problème : à ce niveau de montage d’éléments aussi disparates, on s’attend à minima à une logique rigoureuse du sourcing documentaire et à un recensement précis des éléments : en incrustation en temps réel ou en générique de fin. Rien de cela : pour accéder aux sources il convient de se rendre sur le site de Seaspiracy, en rubrique « Facts » [1] où l’ensemble des données sont récapitulées, au long d’une Time line permettant de raccorder l’image et la source.

La nature des sources convoquées interroge. Cela devrait être inscrit au fronton des écoles et universités spécialisées dans le traitement de l’information : « Une documentation fiable doit être tout à la fois hétérogène, croisée et émaner d’organismes crédibles ». Ici, c’est plutôt le contraire : la documentation consiste en une liste de pages Web profondes (l’erreur de base : ces liens seront cassés en quelques semaines ou mois), provenant de sources souvent peu connues et surtout sans aucun lien entre elles, c’est à dire qu’il faut toutes les croire sur parole, séparément.

« Plus de poissons dans les océans dès 2048 »… vraiment ?

Ça commence mal. Cette information est issue d’articles concis, le plus souvent anciens et dont la caution scientifique est faible. L’un d’entre eux, jouant le rôle de pivot documentaire, est publié par Boris Worms, un écologiste américain qui a réalisé en 2016 des extrapolations de données produites en… 2006 [2] [3]. On ne tient donc pas compte des évolutions des labels ni de la prise de conscience qui peut naitre en une quinzaine d’années. La situation n’est pas bonne, certes, nous en convenons, et des actions massives doivent encore être menées, mais cet horizon de 2048 est fantaisiste.

La « science » utilisée pour prédire la fin de la
ressource halieutique en 2048 [3]… sans commentaire.

« L’océan absorbe 4 fois plus de CO2 que la forêt amazonienne » : FAUX

Les études scientifiques sont nombreuses et concordantes, et au cœur de celles-ci deux documents de référence. Le premier est issu d’une étude internationale regroupant une vingtaine de chercheurs américains et européens ; il table sur un taux d’absorption du CO2 de 31% [4]. Le second a été publié très récemment par une équipe de chercheurs anglais (University of Exeter) et propose un taux de 25% [5].

Ces niveaux d’absorption sont comparables à ceux de la forêt amazonienne et non pas quatre fois supérieurs. Sans limiter le rôle des océans dans l’absorption du CO2 atmosphérique, il convient de le relativiser, ce qui n’est pas le cas dans le reportage…

« Les déchets plastiques liés à l’industrie de la pêche représentent 46% du plastique des océans » : c’est beaucoup moins que cela mais le problème est réel

Les déchets plastiques issus de la pêche sont une réalité. Leur proportion est délicate à estimer précisément malgré plusieurs campagnes de recensement réalisées lors de sessions de nettoyage de grande ampleur. Différents chiffres circulent ; Greenpeace évalue à 10% le taux de déchets de matériel de pêche en plastique (par rapport à la pollution plastique totale en mer) [6]. La Commission Européenne retient elle le chiffre de 27% [7].

Cette fourchette (10-27%) est réaliste. La plupart des estimations s’y retrouvent. Nous sommes bien loin des 46% affichés par Seaspiracy… mais tout de même : ce point mérite d’être traité sérieusement et les actions imaginées par la Commission Européenne vont dans le bon sens.

En conclusion

Ne soyons pas trop négatif… certains points abordés méritent notre attention. Le premier concerne la disproportion qui existe peut-être entre la puissance de la législation anti plastiques ménagers actuelle (qui mérite évidemment d’être menée, ne nous méprenons pas !) et celle de la législation sur les déchets plastiques issus de la pêche, qui tarde.

Le second point a trait à la responsabilité grandissante que portent les citoyens que nous sommes vis-à-vis du plastique en général. Cette responsabilité nouvelle serait-elle une aubaine pour l’industrie de la pêche qui aurait tendance à sortir du viseur ? C’est en tout cas ce que le documentaire tend à laisser penser, et c’est également une question qui mérite d’être posée.

Sur ce même thème on note d’ailleurs une tendance scientifique, une petite musique qui monte, et qui est bien retranscrite dans un article récent qui s’interroge sur le niveau grandissant de la lutte contre le plastique, alors que, dans le même temps, la surpêche, présentée comme la menace principale, serait finalement traitée en second plan (cf. : « Viewpoint – Ocean plastic pollution: A convenient but distracting truth? », UK, 2019 [8]).

A chacun de se faire son idée.

Références :
[1] Site Web Seaspiracy, https://www.seaspiracy.org/facts, données consultées en mai 2021.
[2] Averting a global fisheries disaster, Boris Worm, 2016, https://www.pnas.org/content/113/18/4895
[3] Study Sees ‘Global Collapse’ of Fish Species, Cornelia Dean, The New York Times, Nov. 2006, https://www.nytimes.com/2006/11/03/science/03fish.html
[4] The oceanic sink for anthropogenic CO2 from 1994 to 2007, Nicolas Gruber & al., Science 2019, https://science.sciencemag.org/content/363/6432/1193
[5] Revised estimates of ocean-atmosphere CO2 flux are consistent with ocean carbon inventory, Andrew J. Watson & al., University of Exeter, UK, Natur, 2020, https://www.nature.com/articles/s41467-020-18203-3
[6] Greenpeace, Les filets fantômes, ces déchets qui hantent les oceans, novembre 2019, https://www.greenpeace.fr/les-filets-fantomes-ces-dechets-qui-hantent-les-oceans/
[7] Plastique à usage unique: nouvelles règles de l’UE pour réduire les déchets marins, Commission Européenne, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_18_3909
[8] Viewpoint – Ocean plastic pollution: A convenient but distracting truth?, Richard Stafford & al., Bournemouth University, UK, 2019.
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> illustration : image sous creative common, Anja, Pixabay

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